La discipline des émotions

Ne pas nier ses émotions, mais ne pas leur laisser le volant. Respiration, recul, lucidité.

EVEIL QUOTIDIEN

Parfait OUATTARA

12/6/20254 min temps de lecture

Mettez-vous en colère, mais n’allez pas jusqu’à pécher; que votre colère s’apaise avant le coucher du soleil. Ne donnez aucune prise au diable. -- Éphésiens 4:26-27 (BDS)

Il arrive souvent qu’on ait grandi avec des phrases comme :

  • « Ne pleure pas. »

  • « Ne te mets pas en colère. »

  • « Sois fort, ne montre rien. »

Avec le temps, cela peut donner l’impression que ressentir serait déjà une faiblesse, ou une faute.

Le texte d’Éphésiens propose pourtant quelque chose de plus nuancé :
il reconnaît la possibilité de la colère, tout en attirant l’attention sur ce qui peut se passer après l’émotion :
la durée qu’on lui laisse, la place qu’on lui donne, les gestes qu’on pose sous son influence.

On peut y voir une invitation à regarder de plus près notre rapport aux émotions, sans jugement, mais avec curiosité.

1. Quand l’émotion signale quelque chose

Les émotions ne sont peut-être pas là pour nous condamner, mais pour nous informer :

  • La tristesse peut signaler une perte, une blessure, un besoin de consolation.

  • La colère peut pointer une limite franchie, un sentiment d’injustice ou de non-respect.

  • La peur peut traduire un besoin de sécurité, de clarté ou de repères.

  • La joie peut révéler un alignement, une gratitude, un moment de justesse intérieure.

On pourrait les regarder comme des voyants lumineux sur le tableau de bord :
ils ne disent pas tout, mais ils indiquent qu’il se passe quelque chose à l’intérieur.

Reconnaître simplement : "En ce moment, je me sens en colère / triste / inquiet / joyeux…"
est parfois déjà un premier pas vers plus de vérité intérieure, sans que cela demande de “performer” spirituellement.

2. Quand l’émotion prend le volant

Le texte d’Éphésiens attire discrètement l’attention sur deux points :

  • l’intensité de l’émotion : « n’allez pas jusqu’à pécher »,

  • sa durée : « que votre colère s’apaise avant le coucher du soleil ».

On peut y lire l’idée que l’émotion existe, mais qu’elle n’est peut-être pas faite pour tenir le volant trop longtemps.

La colère, la peur ou la jalousie, lorsqu’elles restent aux commandes :

  • poussent à dire des paroles qu’on n’aurait pas choisies à froid,

  • colorent la manière de lire les situations,

  • transforment un simple désaccord en fracture durable.

« Ne donnez aucune prise au diable » peut alors se comprendre comme une mise en garde contre ces zones intérieures où l’émotion, prolongée ou entretenue, laisse place à l’amertume, au ressentiment, au découragement.

L’image du volant peut être parlante :
l’émotion est dans le véhicule, mais on peut choisir de ne pas lui confier la direction.

3. Trois gestes pour traverser une émotion

Sans recette magique, quelques gestes simples peuvent aider à traverser une émotion plutôt que la subir.

a) La respiration

Quand l’émotion monte, le souffle se raccourcit, le corps se tend.
Prendre le temps de respirer peut déjà modifier la qualité du moment :

  • inspirer profondément par le nez,

  • garder l’air un instant,

  • expirer lentement par la bouche.

Répéter ce cycle plusieurs fois permet parfois de retrouver un peu d’espace intérieur, juste assez pour ne pas réagir “automatiquement”.

b) Le recul

On peut aussi intercaler une question entre l’émotion et la réaction :

  • « Qu’est-ce que je ressens exactement ? »

  • « Est-ce que cette intensité correspond à la situation présente, ou touche quelque chose de plus ancien en moi ? »

  • « Si j’agis tout de suite ainsi, est-ce que je serai en paix avec ce geste demain ? »

Poser ces questions ne fait pas disparaître l’émotion, mais peut en réduire le pouvoir de bascule.

c) La lucidité

La lucidité ne vient pas toujours immédiatement.
Parfois, elle demande un délai : laisser passer l’orage, reporter une réponse, attendre que le corps se calme.

Il est alors possible de se demander, un peu plus tard :

  • « Qu’est-ce qui serait juste, au-delà de ce que je ressens ? »

  • « De quoi ai-je vraiment besoin : poser une limite, demander pardon, me retirer un temps, clarifier une incompréhension ? »

Cette manière de faire peut transformer l’émotion en information utile plutôt qu’en moteur incontrôlé.

4. Une invitation pour la journée

Pour aujourd’hui, on pourrait simplement expérimenter quelque chose de très simple :

  1. Repérer l’émotion dominante du moment
    Prendre quelques instants pour noter :

    « Ces derniers jours, ce qui revient le plus souvent en moi, c’est… (colère, tristesse, fatigue, inquiétude, joie…). »

  2. L’accueillir par écrit
    Dans un carnet :

    « Quand je ressens cela, c’est souvent après… »
    « Ce que cela raconte peut-être de moi, c’est… »

  3. Intercaler un souffle ou un délai
    Lorsqu’une situation réactive fortement cette émotion :

    • respirer trois fois profondément,

    • si possible, ne pas répondre tout de suite,

    • remettre la décision ou la réponse à un moment plus calme.

  4. Ne pas laisser la journée se fermer là-dessus
    Avant de se coucher, prendre une minute pour se demander :

    « Où en est cette émotion ce soir ? Est-ce que je peux déposer quelque chose : une parole, une prière, une décision pour demain ? »

Ce n’est ni une obligation ni une règle, juste un terrain d’observation.

5. En guise de conclusion

Le passage d’Éphésiens 4:26-27 semble reconnaître une réalité simple : l’émotion fait partie de la vie, mais sa manière de s’installer en nous n’est pas neutre.

Et si la discipline des émotions consistait moins à se “contrôler” qu’à :

  • mieux écouter ce qui se passe en soi,

  • offrir un peu plus d’espace entre ce qu’on ressent et ce qu’on fait,

  • laisser moins de prise aux réactions qui abîment, en soi comme autour de soi ?

Ce texte n’impose pas un modèle, il ouvre une piste.
Chacun peut voir, dans sa propre histoire, où cette nuance fait écho…
et quelles petites prises il souhaite, ou non, desserrer. 🌅